Extraits abrégés tirés de l’interview vidéo publiée en janvier 2021.
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Partie 2 : l'importance du méta |
Remarque du traducteur : Mr_Noob
Environ 80% (les derniers) de l’interview seront mis en ligne ici. Au fil des 6 “chapitres”, le niveau d’expérience du public cible ira croissant. Les pros, soyez donc patients.
[Traducteur : après environ 15’ d’introduction et d’échanges, Blake (alias Brother Bored) aborde l’exemple des précautions que le joueur anglais doit prendre au sein d’une alliance franco-anglaise]
Période dans la vidéo [15'14“ - 22'28”]
BB : […] L’Alliance anglo-française est bonne, c’est une alliance puissante, mais en tant qu’Angleterre, tu as intérêt à t’assurer de ne pas te faire pigeonner par le joueur français.
FM : Oui, je peux imaginer, particulièrement en gunboat… en fait je suis allé quelques fois sur ton blog et je sais qu’apparemment, la France est un pays puissant en gunboat. Selon mon expérience en négo, si je joue une alliance anglo-française, je préfère être l’Angleterre. C’est carrément un autre son de cloche…
BB : Je pense que c’est un super point à aborder, parce que l’équilibre en gunboat est vraiment différent. Et je vais m’expliquer.
En termes d’équilibre du jeu, et là on parle, dans la perspective de la conception du jeu, d’une configuration dans laquelle les joueurs ont des positions de départs asymétriques. Et Diplomacy en a à la pelle : non seulement les pays ont des positions de départs différentes, mais ils sont intrinsèquement différents, du fait de leur géographie, des nouvelles unités qu’elles peuvent mobiliser, etc. Pourtant, le jeu est conçu de manière étonnamment équilibrée.
Je dirais qu’en négo, je suis à l’aise avec n’importe quel pays. Chacun a ses forces et faiblesses et, fondamentalement, l’une des caractéristiques de Diplomacy qui équilibre le jeu, c’est que les joueurs peuvent planifier en palliant tout déséquilibre qu’ils perçoivent. Si tu t’inquiètes parce que tu penses que la Turquie est beaucoup plus forte que l’Italie ou l’Autriche, alors, en tant qu’Italie ou Autriche, tu formes une alliance contre la Turquie. Tu peux y trouver ce genre de solution.
En gunboat, les joueurs ne peuvent pas communiquer avec les mots. Ils n’ont pas la possibilité de transmettre leur perception ou leurs intentions de manière élaborée. Et c’est ça qui modifie considérablement l’équilibre du jeu.
Par exemple, la Russie, qui est aussi forte que n’importe quel autre pays en Diplomacy classique (certain pensent même qu’elle est exceptionnellement puissante, peut-être l’un des meilleurs pays), et bien la Russie est indiscutablement, et de loin, le pire pays en gunboat. Comment est-ce possible ? Comment le jeu peut-il être si différent ?
Songes-y un peu : la Russie débute avec ce positionnement écartelé avec des unités éparpillés dans tous les sens. C’est très avantageux dans le jeu avec négo, parce que tous les joueurs ont intérêt à te parler et à chercher à s’attirer tes faveurs. Tu peux peser pour assurer ton passage en Scandinavie ou ailleurs, et sur le long terme, être impliqué des deux côtés du plateau peut entraver la formation d’une ligne de défense contre toi, lorsque tu essaies de gagner. Ce sont là des avantages vraiment intéressants.
Mais la Russie a d’énormes faiblesses sur le plan tactique. Son positionnement dispersé implique qu’elle ne peut s’appuyer sur aucune concentration des forces. Ses deux flottes de départ ne peuvent aider dans la direction opposée, la flotte du nord ne peut pas défendre Moscou et la flotte de Sébastopol non plus. Alors, si la Russie est attaquée tôt dans la partie, elle peut se faire détruire très rapidement, elle n’a que trois unités au sud et une au nord (ou deux et deux, c’est selon), mais il n’y a pas assez de concentration pour survivre à une attaque précoce. Donc, sans moyen de négocier avec les autres en leur donnant une raison de vous tolérer, de vous aider ou de “hé, j’ai un accord à te proposer”… en gunboat, les voisins de la Russie la regardent comme “voilà des centres qui me seraient faciles à prendre“. Ils seraient vraiment faciles à prendre, parce que les défenses de la Russie sont tellement faibles. Et il est très fréquent que la Russie ne monte jamais plus haut que cinq centres et reste affaiblie durant toute la partie, parce qu’il n’y a pas la possibilité de tenter de conclure des accords avec les autres joueurs.
Et la situation inverse prévaut pour les autres “corner powers” ou plutôt… ce que j’essaie de dire, c’est que le concept de “corner powers” est moins prégnant en gunboat, à cause de la différence éclatante entre la Russie et, disons, l’Angleterre, la France et la Turquie.
Ici je veux parler de la France et de pourquoi la position de la France, en gunboat, est si forte. Peut-être à égalité avec la Turquie. La Turquie est vraiment forte en défense et la France est très forte en attaque, mais aucun des deux n’est faible dans aucun des deux domaines. La France jouit d’un positionnement qui, sur la carte, repose sur des territoires imbriqués, ce qui obligent ses adversaires à mutuellement soutenir leurs mouvements pour espérer percer. En négo, c’est banal : “Hé, tu soutiens mon mouvement ?”, “Oui”, “Ok”. Je le crois, je fais confiance à ce joueur, et donc nous nous soutenons mutuellement et nous plaçons notre attaque. En gunboat, tu verras des choses comme l’Angleterre soutenant l’Allemagne en Belgique, l’Allemagne soutenant l’Angleterre en Belgique, et la France qui y rentre directement… Qu’est-ce qu’ils vont faire, alors ? Chacun voulait que ce soit son allié qui… mais comme ils ne pouvait pas… alors ensuite, ok, pas de soucis, au tour suivant, l’Angleterre attaque la Belgique et l‘Allemagne attaque la Belgique, et la France reste encore là, parce qu’aucun des deux n’a soutenu l’attaque de l’autre. Aaaaaah !
Donc, quand tu coopère avec des alliés, tu ne dois pas seulement deviner ce que fera ton ennemi, mais tu dois aussi deviner ce que feras ton allié, avec ce degré de difficulté supplémentaire dans la coopération. Et donc, la manière dont la France est configurée l’avantage considérablement en gunboat, où même si deux, voire trois de ses voisins essaient de la combattre, ils ne sont pas certains d’y parvenir, parce qu’à un moment, ils doivent se soutenir mutuellement. J’ai joué des parties de gunboat, dans lesquelles j’étais la France et me suis retrouvé contre l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie, tous les trois en train de m’attaquer. Il s’agissait d’un tournoi, c’était de bons joueurs qui étaient là pour gagner et il a fallu attendre 1908 avant qu’ils parviennent à me ramener sous les 4 centres. Parce que je pouvais continuer à rentrer des ordres et ils devaient se soutenir en tâtonnant. Pendant tout ce temps, ils devaient toujours deviner mes coups correctement, et si mes soutiens (“support-hold”) bloquaient leurs soutiens (“support-move”), je survivais un tour de plus.
La Turquie bénéficie d’une situation très similaire sur le plan défensif, dans le cas où si elle est complètement encerclée par une Autriche et une Italie qui coopèrent, ou si la Russie aide l’Autriche. La Turquie tombera en quelques années, dans un jeu de Diplomacy traditionnel. Mais qu’est-ce qui se passe si l’Autriche soutient l’Italie en Mer Égée et l’Italie soutient l’Autriche en Mer Égée ? Dans le même temps, la flotte turque y entre tout simplement, et continue à progresser contre des joueurs qui essaient juste de coopérer pour la combattre.
Donc, cette position défensive extrêmement forte a des conséquences diplomatiques, en ce sens que les joueurs ne privilégieront pas l’attaque contre un pays qui peut bien se défendre. Ils attaqueront en priorité un pays qui peut être rapidement être balayé pour acquérir ses centres et se renforcer. Parce que lorsque tu manœuvres avec tes propres unités, tes soutiens sont sûrs de marcher et que donc, tu as franchement intérêt à être ton propre allié, pour ainsi dire. Par exemple, si je suis l’Allemagne, que je cannibalise la Russie et que je m’en prends ensuite à l’Angleterre, je l’attaque comme si j’étais une réelle alliance germano-russe ou comme si j’en avais une puissance équivalente. Alors que si j’étais l’Allemagne et que j’essayais de m’allier à la Russie contre l’Angleterre, on pourrait s’emmêler les pinceaux, on pourrait continuer à se planter alors même qu’on essaie de collaborer.
Donc c’est une raison… je pense que c’est super intéressant de voir à quel point cette dynamique est défavorable, ou tout du moins… chez les débutants, où ça finit généralement mal pour la Russie, ou pour l’Autriche qui se fait immédiatement attaquer par l’Italie.
L’interview complète, sur la chaîne youtube de FloridaMan
Le blog de Brother Bored : https://brotherbored.com/